Bien souvent, la question de la spécificité des femmes dans le domaine de l’exclusion est réduite à celle, essentielle, des femmes victimes de violence. Il n’y a qu’à écouter la litanie des dispositifs ou des annonces sur ce sujet, des plus importants aux plus anecdotiques, comme ce bracelet électronique dédié dont le gouvernement vante les mérites au mépris de toute rigueur intellectuelle (http://www.liberation.fr/societe/0101605286-morano-bracelet-en-toc). Pourtant, de l’absence d’accès aux ressources de la planification aux situations d’errance au long cours, en passant par les mariages forcés ou la prostitution, les femmes subissent nombre de situations d’exclusion, avec souvent une dureté et une souffrance accrue par rapport aux hommes. La rue est toujours plus destructrice pour les plus fragiles, et la pente qui mène à la destruction de soi est souvent plus raide pour les femmes.
Dans le sombre paysage de la crise actuelle, dont les femmes sont les premières victimes comme l’a très bien démontré le Secours Catholique dans un récent rapport (http://www.secours-catholique.org/telechargements/Rapport-Statistique-2008-Secours-Catholique.pdf), il est des lectures qui ouvrent un coin de ciel bleu. C’est le cas du livre d’Isabelle Affolter, « Accueillir des femmes en détresse, le quotidien d’un centre d’hébergement » (editions érès, 2008) qui illustre, au travers de l’histoire d’un CHRS spécialisé dans l’accueil des femmes, comment il est possible de rendre leur dignité et d’offrir une nouvelle vie à des femmes promises à l’exclusion et à la perte d’elles-mêmes.
C’est la vie quotidienne du CHRS qui est ici décrite et animée par les histoires singulières de femmes qui ont marqué l’auteur, de la création de la structure, qui se voulait cachée aux hommes au départ avant de devenir « visible », aux affres de la dérive gestionnaire, en passant par les besoins de professionnalisation, l’adaptation aux drames du sida, la montée des problématiques religieuses… Tout y est, avec une analyse très fine de l’équilibre entre d’une part l’engagement et l’équation humaine dans ce type d’aventure, y compris dans la gestion du partenariat, et d’autre part la dépendance aux contingences financières et institutionnelles. C’est dans cette voie que réside l’espoir du livre : le militantisme de l’équipe, sans lequel rien n’est possible, sa capacité à gérer la contrainte tout en refusant la perte de valeur et d’identité induite par l’hypertrophie des contingences gestionnaires ou les compromissions avec des politiques publiques au rabais.
Beaucoup de CHRS sont dans cette situation de recherche d’un projet qui maintienne l’engagement collectif d’une équipe de professionnels et garantisse un véritable soutien pour les résidents… tout en vivant l’asservissement à des financements normés de plus en plus revus à la baisse. Je pense en particulier aux équipes de La Boussole ou de La Place, à Grenoble, qui prennent en charge les personnes les plus exclues avec des « dotations » qui ne tiennent pas compte de leur spécificité. Grâce à la subvention municipale, et parce qu’elle est gérée par le CCAS, la Boussole n’est pas en danger. Il n’en est pas de même pour La Place, malgré des subventions de la Ville et de la Métro, car l’association qui la gère (Le relais Ozanam) ne peut absorber de déficit. J’y reviendrais, mais il est clair qu’à trop vouloir normer le travail social, on le détruit : c’est à partir du besoin des personnes que nous devons construire des réponses, et non les adapter en fonction de ressources fixées administrativement.
Un dernier mot sur ce livre, pour dire qu’il nourrit utilement une réflexion conduite à Grenoble par l’association « Femmes SDF », au nom du collectif des associations de bénévoles, sur la prise en charge des femmes en errance. Issue d’une recherche – action exemplaire sur les femmes de la rue, dont a été tiré un film non moins exemplaire, cette association gère aujourd’hui un local à destination des femmes qui propose un accueil de jour, un cocon pour prendre soin de soi, un lieu de convivialité non mixte, un lieu de sécurité et de réappropriation de son corps comme de son esprit. J’espère que la réflexion engagée aboutira prochainement à des propositions concrètes pour permettre la naissance à Grenoble d’un lieu aussi humain et beau que celui porté par Isabelle Affolter.