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26 novembre 2009 4 26 /11 /novembre /2009 01:01

delpSi Grenoble est d’abord un berceau historique des politiques de maintien à domicile des personnes âgées, notre ville compte aussi une belle tradition, à mi-chemin entre le domicile et l’établissement : celle des « docos », les domiciles collectifs, qui permettaient à des personnes de vivre de manière autonome dans un logement tout en mutualisant des services de prise en charge de leur dépendance. Ce modèle est aujourd’hui encore présent aux « Vignes », dans le quartier de l’Ile Verte.

Pour autant, devenus trop déséquilibrés financièrement au gré de l’évolution de la dépendance, les « docos » avaient fermé à la fin des années 1990 et avaient été remplacés par un projet novateur : les petites unités de vie médicalisés. Nées sous les auspices de Paulette Guinchard-Kunstler, alors ministre de Lionel Jospin, Les Delphinelles étaient un EHPAD (établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes) de 63 lits répartis dans trois petites unités de vie à Vaucanson, l’Abbaye et Teisseire, cette dernière unité ayant été ouverte à l’automne 2007. Innovant, ce projet l’était parce qu’il conciliait la nécessité d’adapter la prise en charge de la dépendance à de nouvelles contraintes de qualité (la norme EHPAD), tout en préservant à la fois la taille humaine des structures et leur ancrage dans un quartier, en lien avec la ville et son environnement social. Soutenu par un gouvernement de gauche, ce projet se voulait une réponse solidaire à la dépendance, capable de prendre en compte la personne âgée dépendante dans toutes ses dimensions, y compris celle de son environnement social et urbain.

Las ! Avec le changement de politique nationale de 2002, la mise en place de la « triple tarification » (soins payés par l’assurance maladie, dépendance par le département et hébergement par l’usager) s’est avérée une redoutable broyeuse d’illusions : faute de prise en compte de sa spécificité (trois sites, donc trois contraintes de permanence de soins 24h/24), Les Delphinelles ont toujours été financées comme un seul établissement de 63 lits, alors même que les dotations étaient calculées pour un équilibre financier atteint… à 80 lits. Lorsque la nouvelle équipe est arrivée à la tête du CCAS en mars 2008, les premiers chiffres de déficit annuel en pleine exploitation faisaient froid dans le dos : 1,2 M€ de déficit, malgré un tarif parmi les plus élevés du département ! Comment justifier la prise en charge par les Grenoblois d’un tel déficit, alors que ni la Ville ni le CCAS ne sont légalement compétents ? A titre d’exemple, ce déficit pour 63 lits a le même coût pour le CCAS que la gestion du service social personnes âgées… qui suit plus de 6400 personnes ! Difficile question de justice sociale.

Au moment où le CCAS rencontrait de grave difficultés budgétaires, je n’ai pas hésité et j’ai proposé aux tutelles (DDASS et conseil général) d’engager une démarche commune. Nous avons d’abord expertisé la gestion, et vérifié si un autre gestionnaire était en mesure de conserver le même projet. L’analyse menée par la Mutualité française a été négative : même en améliorant la gestion (notamment le recours à l’intérim, excessif au CCAS faute de candidatures sur nos postes médicaux), le projet n’était pas viable. Nous avons donc réfléchi à un nouveau projet pour chaque unité.

Sur Vaucanson, compte tenu de la grande taille des chambres, la piste du handicap s’est imposée naturellement. Nous avons décidé de confier la gestion de cette unité à l’Apajh (association pour l’aide aux adultes et jeunes handicapés).

Sur l’Abbaye, nous voulions revenir au modèle original par des « appartements regroupés à services partagés ». Malheureusement, les contraintes du bâti et les incertitudes financières (sur le coût à charge des usagers, en particulier) nous ont obligé à revoir notre copie. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une petite unité de vie non médicalisée, pour personnes âgées moyennement dépendantes, qui sera gérée par la Mutualité française.

Sur Teisseire, l’association « Les petits frères des pauvres » a porté un projet de petite unité de vie médicalisée à destination des immigrés vieillissants et proposant des hébergements temporaires… qui n’a pas été finançable, son prix de journée étant trop élevé (près de 100€ !). Nous réfléchissons encore pour proposer un avenir à ce véritable joyau qu’est cette unité des Delphinelles, de préférence dans le secteur gérontologique.

Partager des décisions avec des collectivités est une chose, les mettre en œuvre dans la durée en est une autre. Il faut mesurer le drame qu’a été l’annonce de l’arrêt du projet des Delphinelles pour nombre d’agents du CCAS qui s’étaient investis durant des années pour la réussite de cette innovation grenobloise, sans parler des résidents et de leurs familles à la fois tristes et inquiets et de l’avenir. Je me suis efforcé, à l’automne 2008 de partager au maximum notre réflexion avec les agents, les résidents et leurs familles, mais aussi les organisations syndicales du CCAS. Plusieurs réunions ont été nécessaires. Nous avons joué la transparence, assumé la décision, proposé un accompagnement. Pour les résidents, la perspective de l’ouverture du nouvel EHPAD « Chante soleil » à Vigny Musset a été une réponse satisfaisante. Pour les agents, un dispositif spécifique a été organisé par les ressources humaines, pour tenir l’engagement que j’avais pris que tous les agents titulaires soient reclassés dans de bonnes conditions. Durant ces mois de travail chargés en émotion pour les agents comme pour les résidents, le rôle de la directrice, Muriel Malka, a été déterminant. Au croisement de la logique de l’institution et de celle des usagers, en contact permanent avec son équipe, elle a absorbé bien des chocs et réconforté bien des cœurs durant de longs mois. Nous lui devons une bonne part du bon déroulement de ce triste changement.

Enfin est arrivé le moment où le changement devenait effectif : le 10 novembre pour Vaucanson et le 24 novembre pour l’Abbaye, les résidents ont déménagé pour Vigny-Musset. Pour avoir partagé ces moments avec les résidents, leurs familles, mais aussi les professionnels, c’est peu dire qu’ils ont été émouvants. S’y mêlaient de la tristesse, de la nostalgie, de la crainte pour certains résidents, de l’espoir pour des professionnels qui débutaient une nouvelle carrière (par exemple dans la petite enfance), et surtout beaucoup de « qualité humaine », de respect de l’autre, de souci de dignité, d’empathie. Voir pleurer des professionnelles au soir d’une journée de déménagement est le meilleur démenti à tous les jugements expéditifs sur le secteur gérontologique. Même si nous partagions un sentiment de tristesse, j’ai aussi vu la fierté du service public, dans toute son humanité dans bien des regards. Sans emphase, je dois confesser que c’est un des plus beaux moments, même douloureux, de ma courte vie d’élu.

Nous avons été capables, me semble-t-il, de bien gérer un changement contraint par la logique financière. Cela ne doit pas nous faire taire le sentiment de révolte politique qui nous a étreint tout au long de cette démarche : que dire de la continuité de la parole de l’Etat ? Que penser de politiques exclusivement déterminées par la contrainte financière, qui interdisent l’adaptation au besoin social des personnes ? Notre innovation n’a pas survécu à la financiarisation de la santé, et le pire est à venir  : notre système est déjà terriblement inégalitaire, accessible soit aux plus fragiles grâce à l’aide sociale (financée par les départements) soit aux plus riches (près de 2000€ par mois pour une place en EHAPD), et on nous annonce des réformes prochaines visant à faire converger le public vers la logique du privé, et à intégrer tous les coûts dans des systèmes de dotations, même les médicaments. Ainsi, demain, il y a fort à parier que certaines personnes âgées, dont les pathologies seraient trop coûteuses en médicaments, se verront refuser l’accès à certains EHPAD. Ainsi, demain, les personnes âgées dépendantes ne seront plus des assurés sociaux normaux et n’auront plus le choix de leur médecin traitant etc… J’aurai l’occasion d’y revenir, en particulier sur ce que le gouvernement veut faire sur le « 5ème risque ».

C’est en tout cas un chantier absolument majeur pour la gauche que d’élaborer une alternative crédible aux politiques de droite depuis 2002, sur un sujet aussi essentiel dans la vie quotidienne de millions de Français. Pour que vivent d’autres Delphinelles.

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commentaires

O
Thanks for sharing this with us.i found it informative and interesting. Looking forward for more updates.
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W
It’s a Very informative article, all the information are given very clearly.
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